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Sédation 101
20 octobre 2016

Plus besoin des pilotes

C'est l'ubérisation de l'armée de l'air qui arrive, avec des informations et capacités toujours plus importantes dans le cockpit d'un avion de chasse. La difficulté des opérateurs de première ligne à coopérer avec de telles machines se manifesta d’abord par un nombre significatif de situations de communication conflictuelles et d’incompréhension. Dés la fin des années 80, et dans les années 90, les experts en sciences humaines furent ainsi invités à se pencher sur des phénomènes récurrents de baisse de vigilance, de perte ou de dispersion de l’attention, de fatigue (dans l’aéronautique, on évoqua le phénomène de perte de conscience de la situation avant de lancer plusieurs campagnes de sensibilisation sur ce thème). Travaillant à la même époque sur les nouveaux outils de supervision des centrales nucléaires, le sociologue Francis Chateauraynaud eut recours à la notion de « déprise » pour qualifier le sentiment exprimé par les opérateurs d’avoir perdu prise sur leur environnement (Chateauraynaud 1997, 2006). Michel Freyssenet mettait de son côté l’accent sur la nouvelle division du travail en train de se mettre en place dans le cadre des nouveaux processus d’automatisation aboutissant, selon lui, à l’érosion de l’intelligence pratique. La juxtaposition de connaissances partielles, si elle pouvait superficiellement être assimilée à un processus de requalification, préfigurait en réalité l’impossibilité d’acquérir une vision et une connaissance globale des systèmes et des installations (Freyssenet 1992). On pourrait résumer cette situation par la remarque pleine d’ironie adressée par le physicien Victor Weisskopf à ses étudiants du MIT devant leur goût prononcé pour les expérimentations informatisées: « Quand vous me soumettez le résultat, l’ordinateur comprend la réponse, mais vous, je ne crois pas que vous la compreniez » (Sennett 2010, 60) 2. Dans ces avions, l’engagement du corps continue, certes, d’être nécessaire à la conduite du vol. Mais cette forme d’engagement se trouve pour ainsi dire reléguée par des innovations qui rendent l’avion à la fois plus autonome, plus confortable et plus sûr. Il n’y a, à proprement parler, plus de bons ou de mauvais pilotes, mais des « gestionnaires de systèmes », comme les pilotes se désignent eux-mêmes, qui veillent au bon déroulement des process, dialoguent avec les ordinateurs, entrent des données et sélectionnent des modes. Ce qui veut dire que l’environnement immédiat du cockpit, avec ses écrans, ses modalités d’affichage de l’information, concentre désormais l’essentiel de l’attention des pilotes. L’espace perceptif s’est réduit d’autant. C’est sur ce « rétrécissement » de l’expérience corporelle qu’il convient ici d’insister comme cadre d’une refonte du rapport aux autres et au monde qui ne cesse pas d’être problématique. Plus d'info sur l'expérience de baptême en avion de chasse en suivant le lien.

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